Le Président de la République, Faure Essozimna Gnassingbé a proposé des réponses urgentes et durables à la crise alimentaire qui sévit en Afrique. C’était à l’occasion de la réunion de haut niveau sur la Sécurité alimentaire et l’accès aux engrais qui s’est tenue le 11 octobre 2022 en marge des Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).
INTERVENTION DU CHEF DE L’ETAT FAURE ESSOZIMNA GNASSINGBE
Monsieur le Vice-Président du Groupe de la Banque mondiale,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les partenaires du Groupe de la Banque mondiale,
Mesdames, Messieurs les représentants du secteur privé et des organisations de la société civile,
Nous sommes sensibles à l’importance que vous accordée à la question de la sécurité alimentaire dans le monde. C’est donc un réel réconfort pour nos populations de savoir que nous prenons la parole pour un sujet qui constitue pour elles une préoccupation quotidienne.
Depuis des décennies, l’insécurité alimentaire fait partie des préoccupations permanentes et principales des dirigeants d’un grand nombre de pays à travers le monde, et en Afrique en particulier.
Etat des lieux de la sécurité alimentaire
En Afrique centrale et de l’ouest, le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants touché par l’insécurité alimentaire a atteint un nouveau record en juin de cette année, avec une multiplication par trois des personnes affectées, passant de 10 millions à plus de 41 millions.
Les effets délétères du dérèglement climatique, l’étiolement continu de la part des cultures vivrières dans le mix alimentaire africain comme l’instabilité générée par la volatilité des cours des matières premières agricoles constituent à eux seuls une réelle source de fragilité dans la sécurisation de l’alimentation d’une part substantielle de la population mondiale.
Mais, plusieurs évènements sont venus amplifier ces déséquilibres. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont fait des ravages tout le long des chaînes d’approvisionnement.
Compte tenu des sécheresses brutales survenues cette année en Inde et en Chine et du prix élevé des engrais, personne ne peut plus affirmer que la question de l’offre marginale et de son influence sur les prix n’est pas un problème.
Facteurs d’aggravation de l’insécurité alimentaire
A la lumière de ces évènements, il apparait que la problématique de la sécurité alimentaire ne peut être appréhendée du seul point de vue du volume de la production des denrées alimentaires, mais qu’il convient également de prendre en considération la question de l’accès auxdites ressources alimentaires.
Cette approche n’est pas nouvelle, mais il faut la renouveler. Elle a initialement été formulée dès les années 80, par l’économiste indien nobélisé, Amartya Sen, dans son essai sur les causes de la famine. Pour autant, j’ai la conviction qu’aujourd’hui encore cette approche est toujours d’actualité. Plusieurs aspects me semblent devoir être évoqués.
D’abord, l’interdépendance croissante des marchés agricoles au niveau planétaire, qui implique que lorsque l’offre globale de nourriture diminue, seuls les pays à haut revenus ont les moyens de maintenir leur consommation tandis que, dans le reste du monde, les prix grimpent mécaniquement.
Prenons pour exemple le marché des engrais azotés, intrant essentiel dans la production agricole. Alors même que la capacité de production européenne a diminué ces dernières années de moitié pour l’ammoniac et d’environ un tiers pour les engrais azotés, les agriculteurs des pays développés sont soutenus par de généreuses subventions afin que leur consommation d’engrais ne subisse pas de plein fouet les conséquences des hausses de prix.
Concrètement, cela signifie que le Togo doit payer un prix fixé, non pas en fonction des coûts réels de production, mais en fonction de la protection accordée à des consommateurs vivant à l’autre bout du monde. Ainsi, les prix des engrais dans mon pays, qui avaient déjà significativement augmenté ces derniers mois, resteront encore élevé dans les mois à venir.
Cela se retrouve également lorsque l’offre fléchit pour une autre raison qu’une diminution de la production. Ce peut être le cas de problèmes logistiques d’approvisionnement. A titre d’exemple, la FAO estime qu’environ 50 % de la nourriture produite dans le monde est soit gaspillée, soit perdue quelque part dans la chaîne d’approvisionnement.
Ce peut aussi être le cas d’anticipations (fondées ou non) qui amènent certains producteurs à réduire unilatéralement le volume de produits alimentaires disponibles à l’exportation. Ainsi, cette année, certains pays ont constitué des stocks importants de denrées alimentaires, ce qui a eu pour effet de réduire artificiellement l’offre. Je pourrais citer d’autres facteurs, mais pour rester dans le temps imparti à mon adresse devant vous, je vous propose d’en venir aux pistes d’amélioration envisageables.
Pistes de solutions pour le renforcement de la sécurité alimentaire
Que faut-il faire ? Je voudrais évoquer cinq pistes.
D’abord l’urgence. Face à l’urgence, manifester de la solidarité dans l’urgence, à travers des opérations humanitaires qui constituent sans doute le rempart le plus efficient, en ce qu’elles permettent un accès instantané des plus vulnérables aux denrées de base.
Ma deuxième piste est que les dispositifs d’urgence ne suffisent pas. Comme leur nom l’indique, les dispositifs d’intervention d’urgence ont vocation à résorber des crises ponctuelles comme cela a été le cas encore cette année au cours des premiers mois de la guerre en Ukraine.
Mais les dispositifs d’urgence n’ont pas vocation à réguler durablement les causes de l’insécurité alimentaire.
Pour y parvenir, il faut multiplier les efforts consentis par les pays les plus vulnérables pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire et développer leurs cultures vivrières. Pour ce faire, nous sommes obligés de subventionner les intrants jusqu’à ce que l’économie agricole trouve son équilibre. Évidemment une telle politique a un coût important et met un certain temps à porter des fruits.
Ma troisième remarque est que dans ces conditions, les subventions et dépenses de protection sociale dans les pays à faible revenu constituent un bouclier essentiel au bénéfice des populations les plus vulnérables. Là encore, cela pèse lourdement sur les finances publiques.
C’est pourquoi je crois indispensable que ce coût soit reconnu par les institutions de Bretton Woods, voire que sa charge soit partagée, particulièrement en ces périodes de grandes incertitudes économiques.
Quatrième remarque : les effets de ces dérèglements ne sont pas sans conséquences sur le reste du monde particulièrement en matière de sécurité. La faim, notamment dans ma région en Afrique de l’ouest, pousse nombre de jeunes hommes vers la criminalité, le terrorisme ou la migration illégale.
Trop souvent, les faibles rendements agricoles et la pression démographique obligent les agriculteurs à étendre leurs cultures sur les couloirs pastoraux, au risque de déclencher des violences communautaires.
Le combat contre le terrorisme est un combat commun, il n’est pas possible qu’on nous empêche de financer les dépenses militaires indispensables au nom de ratios d’endettement au demeurant assez arbitraires.
Une dernière remarque encore. Même si tout ce que j’ai énoncé plus tôt se réalisait parfaitement, il resterait encore un point structurel. L’aide d’urgence pour le très court terme, la protection de l’État grâce à une politique ambitieuse de couverture sociale et de subvention ciblée vers l’économie agricole sont sans doute des prémices nécessaires, mais ces actions seraient vaines sans une volonté politique forte de structurer les chaînes d’approvisionnement nationales en coopération avec le secteur privé. Je voudrais à ce point de mon exposé faire deux remarques terminales.
La première est que depuis de nombreuses années, le Togo poursuit des réformes en profondeur de son environnement des affaires, tant nous portons l’intime conviction que seul un secteur privé national fort peut nous aider à atteindre la sécurité alimentaire à long terme.
Les investissements domestiques seront la clé de la sécurité alimentaire nationale, voire régionale. C’est ainsi, par exemple, que le Togo dispose d’importantes réserves de phosphate. Et, pour la première fois depuis les années 1990, nous avons réussir à produire 1.500.000 de tonnes.
J’aimerais souligner l’importance de cette performance : le phosphate n’est pas seulement un composant essentiel d’engrais populaires comme le DAP, il est également essentiel pour rendre les cultures résistantes à la sécheresse. Le climat devenant de plus en plus instable, un approvisionnement abondant en phosphate sera essentiel à la résilience de l’agriculture en Afrique de l’ouest et du centre.
Parallèlement, la coopération internationale peut créer de nouvelles chaînes d’approvisionnement et aider à partager l’expérience industrielle. J’ai été très heureux de rencontrer ce matin le Directeur Général du Groupe de l’Office chérifien des phosphates (OCP) Monsieur Mostafa Terrab, pour échanger sur les possibilités de la transformation du phosphate au Togo.
Le succès du Maroc dans ce domaine n’a pas échappé à mon gouvernement. Nous sommes également impatients de voir des progrès du gazoduc Nigeria-Maroc, qui pourrait offrir des opportunités pour la synthèse de l’ammoniac et la production de phosphates de diammonium (DAP) dans le pays. Il y a quelques zones de combat du gaz dans la sous région, mais je pense que de plus en plus, les conditions sont réunies pour une coopération industrielle
La seconde remarque s’adresse à nos partenaires en développement. Les investisseurs surestiment traditionnellement les risques et sous-estiment les rendements des investissements dans les pays en développement.
Nos partenaires en développement peuvent aider le secteur privé à atténuer les risques par une meilleure réglementation et des incitations judicieuses. Par exemple, la volatilité excessivement élevée des marchés des matières premières et des devises en ce moment pourrait s’avérer dissuasive pour les investissements futurs.
Il est donc essentiel de réduire les risques. Et les partenaires en développement peuvent y contribuer par l’intermédiaire de la Société financière internationale (SFI) et d’autres institutions financières et de développement, ils disposent des outils et de l’expérience nécessaires pour fournir au secteur privé des garanties de première perte ou des couvertures de change, afin de maintenir les flux d’investissements privés, même en période difficile.
Voici donc les quelques points que je voulais aborder devant vous. L’urgence, bien sûr, mais aussi la préparation du moyen et long terme. L’action sur les structures agricoles, bien sûr, mais aussi le soutien des populations vulnérables. La rigueur nécessaire des institutions financières internationales, bien sûr, mais avec une compréhension renouvelée de la situation alimentaire et sécuritaire.
Je vous remercie !!!