TABLE RONDE DE HAUT NIVEAU SUR LES ENGRAIS ET LA SANTÉ DES SOLS
ALLOCUTION DE SON EXCELLENCE FAURE ESSOZIMNA GNASSINGBE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE TOGOLAISE
Lomé, 31 mai 2023
Monsieur le Président de la République de Guinée-Bissau, Président en exercice de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, cher Umaro Sissoco EMBALO,
Monsieur le Président de la République du Niger, Président en exercice de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UEMOA, cher Mohamed BAZOUM,
Madame le Premier ministre de la République Togolaise
Madame la Présidente de l’Assemblée nationale de la République Togolaise,
Messieurs les ministres d’État représentant les chefs d’États de la Côte d’Ivoire et du Bénin,
Monsieur le Vice-Président du Groupe de la Banque Mondiale,
Monsieur le Président de la Commission de la CEDEAO,
Monsieur le Président directeur général de l’Office chérifien des phosphates,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs et représentants d’organismes internationaux,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Distinguées personnalités,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis de ce que la présente Table Ronde de haut niveau sur les engrais et la santé des sols se déroule ici à Lomé, et j’adresse mes très chaleureuses salutations aux organisateurs, la commission de la CEDEAO et la Banque Mondiale.
Certains, peut-être, pourraient s’étonner du grand intérêt porté à un sujet a priori assez aride.
Mais, derrière les mots d’intrants et de santé des sols, c’est la vie quotidienne de millions d’Africains et surtout leur sécurité alimentaire qui est en jeu.
Dès lors, il n’y a pas de sujet plus fondamental que celui de l’agriculture régionale et particulièrement de la gestion de la terre qui la porte.
Alors avant même de nous interroger sur les politiques publiques africaines en matière d’usage et de gestion des engrais, il convient de réfléchir à la politique agricole que nous voulons pour nos populations. Celles d’aujourd’hui bien sûr, mais aussi celles qui –demain– feront l’Afrique que nous appelons de nos vœux et pour laquelle nous travaillons. Une Afrique résiliente, une Afrique à même de nourrir ses enfants et d’offrir à chacun un cadre de vie digne et prospère.
Cette Afrique passe par la reconquête de notre autosuffisance alimentaire. Celle-ci doit reposer sur une vision stratégique qui implique une vision sous-régionale intégrée. Car en la matière, il n’y a pas de succès possible sans une coopération sous-régionale planifiée et efficacement exécutée.
Cette vision et son exécution demandent probablement un certain temps pour montrer leur efficacité, même si nous avons aussi à répondre aux urgences.
A l’heure où de multiples crises bouleversent les politiques publiques du développement, la préservation de notre environnement doit aussi retenir notre attention. Et en particulier, la régénérescence des ressources naturelles et la lutte contre la déforestation.
Or l’un des éléments essentiels de la lutte contre la désertification et l’appauvrissement des sols est -bien sûr– la gestion des intrants dans l’agriculture.
Nous constatons tous depuis la crise de la Covid-19, et plus encore depuis le conflit en Ukraine, un certain retour aux fondamentaux dans nos délibérations.
L’énergie, l’alimentation, la sécurité de nos frontières et de nos populations sont autant de questions, un temps marginalisées, qui aujourd’hui reprennent leur juste place au cœur de nos efforts pour le développement du continent.
Incontestablement, aborder les engrais, l’alimentation et la santé des sols participe donc à un certain retour aux sources.
Tout d’abord, il nous faut produire plus, aujourd’hui et demain.
Ce regain d’intérêt pour les fondements de notre souveraineté alimentaire est d’autant plus nécessaire qu’après des décennies de constante amélioration, la faim est malheureusement de retour sur notre continent.
Dans la sous-région, 30 millions de personnes étaient en état de sous-nutrition en 2010. En dix ans, ce chiffre a presque doublé à 57 millions de personnes qui étaient en sous-nutrition dans la région en 2021. Une situation évidemment aggravée aujourd’hui par le conflit en Ukraine.
A cette urgence humanitaire vient s’ajouter la tendance de fond du dynamisme de nos démographies. Bientôt, le couloir urbain reliant Abidjan à Lagos comptera 50 millions de personnes, une croissance qui se poursuivra durant des décennies.
Produire plus, maintenant et demain, est donc le grand impératif pour nos agricultures.
Ce sursaut productif passera nécessairement par une intensification de nos cultures. La pression grandissante sur le foncier et l’impératif de maitriser la déforestation doivent nous encourager à augmenter des rendements qui, jusqu’à présent, nous ont déçus.
Je pense en particulier au rendement des céréales qui n’a cru que modestement, passant d’une tonne à l’hectare en 1961 à 1,75 en 2021. En comparaison, le rendement céréalier en Asie est passé d’un peu plus d’une tonne à plus de 4 tonnes à l’hectare.
Les intrants, et en particulier les engrais, joueront ici un double rôle :
- combinés à une mécanisation plus importante, ils permettront de profiter pleinement des semences améliorées ;
- utilisés judicieusement, ils aideront à atténuer l’inévitable perte de fertilité qu’implique une utilisation plus intensive des terres et des jachères plus courtes.
En 2006, la déclaration d’Abidjan s’était fixé l’objectif d’une utilisation moyenne en Afrique de 50kg d’engrais à l’hectare d’ici à 2015. Nous en sommes malheureusement bien loin.
En 1961, l’Afrique subsaharienne utilisait en moyenne 6kg d’engrais par hectare. En 2021, ce chiffre avait doucement grimpé à 20kg par hectare. Sur la même période, l’utilisation d’engrais en Asie était passée de 20kg à 150kg à l’hectare.
Il nous faut donc une vision stratégique.
Le constat est clair et le plan de marche à adopter ne l’est pas moins. Car, si le sujet est brulant, répondre à l’urgence par l’empressement, voire la précipitation serait bien mal avisé.
Sans encadrement, sans éducation, et sans régulation, le simple fait de gonfler notre usage d’engrais risquerait de s’avérer tout à fait contre-productif.
En particulier, une telle approche entrainerait deux problèmes majeurs :
- le premier est, bien entendu, celui de la pollution des cours d’eau et du littoral, avec tous les risques que le développement incontrôlé des algues fait peser sur nos pécheurs. Sans oublier les coûts importants qu’une épuration systématique des eaux impose sur les communautés touchées par la pollution des nappes ;
- ensuite, l’utilisation excessive et mal encadrée de certains engrais peut entrainer à terme une acidification des sols, augmentant alors le risque d’érosion ainsi que la concentration de certains produits toxiques comme les métaux lourds.
Sans vision, sans stratégie, les engrais passent bien vite d’une promesse de restauration des sols à la cause de leur détérioration.
Des risques qui ne se limitent d’ailleurs pas seulement à des considérations agronomiques. Après tout, nous ne savons que trop bien qu’un accès accru aux intrants demande un recours judicieux au financement et un soutien ciblé de l’État pour minimiser la volatilité des prix des intrants, à laquelle nos agriculteurs sont confrontés.
Face à ce besoin de trouver un juste équilibre, la planification et l’implication de l’État s’imposent.
La stratégie doit aller au-delà des échéances électorales, la réglementation doit compenser les défaillances du marché, et les subventions doivent limiter les risques liés à l’accès aux intrants, pour que l’utilisation des engrais puisse répondre à l’urgence d’une intensification de la production alimentaire.
C’est la raison pour laquelle, je suis favorable à une planification régionale.
Il nous faut trouver un juste équilibre et une bonne stratégie mais, surtout, il nous faut être organisés, il nous faut être coordonnés. Comme l’illustre la Feuille de Route présentée ce jour, notre vision doit être sous-régionale avant tout.
Un tel effort porte à mon avis trois grandes promesses.
1. D’abord, la production. L’Afrique est aujourd’hui dépendante de l’étranger pour son approvisionnement en engrais azotés. Le conflit en Ukraine a montré toutes les limites de cette situation, l’Europe ayant soudainement perdu une part importante de sa capacité de production d’engrais ; ce qui a entraîné une hausse des prix et une diminution des importations sur le continent.
Aucun pays de la sous-région ne possède, à lui seul, les clés d’une filière complète des engrais. Mais collectivement, les richesses d’Afrique de l’Ouest laissent entrevoir la promesse d’une production souveraine d’intrants grâce au gaz naturel et aux phosphates.
2. Ensuite, la recherche. Si produire doit être notre but, les engrais ne se résument pas à une formule simple. Chaque sol, chaque climat, chaque pays et chaque localité possède ses spécificités et appelle des engrais sur-mesure. Cette recherche agronomique sera à la fois fondamentale et appliquée, à la fois publique et privée, mais, surtout, elle sera communautaire. Nos instituts de recherche, en partenariat avec les unités de production, devront travailler ensemble au développement d’un savoir sous-régional sur la préparation et l’utilisation d’engrais adaptés.
3. Enfin, l’approvisionnement et la commercialisation. Une fois produits, ces engrais adaptés devront être transportés et diffusés à travers la sous-région. La pleine utilisation des infrastructures existantes, et en particulier nos hubs logistiques, sera donc essentielle. Baisser les coûts de transaction sera le socle de cette troisième promesse.
Cette convergence des volontés politiques régionales, qui nous réunit aujourd’hui, permettra à terme de construire ensemble notre autonomie et un destin commun. C’est dire l’importance de la présente rencontre.
Je vous remercie.